Résidence
« Ca donne de la valeur à mes mots, d’être écouté par des inconnus »
Projet de documentaire sonore autour de la Bibliothèque humaine par Chloé Truchon
En résidence
Du 14 au 18 février au Colombier des Arts, à Plainoiseau
Sortie de résidence | Séance d’écoute
Samedi 18 février à 10h30 au Colombier des Arts, à Plainoiseau
Depuis 2018, voit le jour chaque année, sur le territoire Bresse Haute Seille et sur le territoire Jura Nord (en lien avec la Carotte), une Bibliothèque Humaine.
Chez nous, la Bibliothèque Humaine est une aventure collective. Elle regroupe chaque année, depuis 2018, dix habitant.e.s de chaque territoire autour d’un processus de découverte, de recherche et de création. Chaque groupe se réunit trois journées entre janvier et mars. Accompagné-es de Caroline Guidou, comédienne et directrice artistique de la Carotte et Delphine Pratini, conférencière gesticulante, ils et elles entament un travail d’écriture mêlant introspection et recherche. Jour après jour les participant.e.s apprennent à se raconter à l’aide des techniques de la conférence gesticulée.
Fin mars, nous convions une centaine de personnes à découvrir les bibliothèques humaines de l’année sur chaque territoire. Le principe est simple : vous êtes accueilli.e.s par des bibliothécaires et devenez immédiatement lecteurs et lectrices. Vous êtes alors informé.e.s des titres d’ouvrages disponibles à la découverte. Ils vous sont inconnus. Vous en choisissez un, on vous donne un plan pour vous rendre dans une maison du village où vous attend un livre… humain ! En fait, ce livre est une personne. Vous n’avez alors plus qu’à prêter l’oreille. Pendant une dizaine de minutes, ce livre humain vous fait partager son histoire, forcément autobiographique… Les mots vous parviennent, tantôt avec humour, tantôt avec émotion, toujours avec profondeur… Tout au long de la soirée, vous pouvez choisir plusieurs ouvrages et découvrir ainsi entre trois et cinq histoires. A la fin de la soirée, nous invitons public, livres humains, hôtes et organisateurs à se retrouver pour partager une soupe et échanger sur l’aventure vécue.
La bibliothèque humaine vise à faire en sorte que les gens se racontent et s’épanouissent dans l’acte de prise de parole, qu’ils prennent conscience de leur place et permettent aux oreilles qui les écoutent de trouver écho en elles. L’objectif est bien de provoquer des espaces de rencontres bienveillants où les habitant.e.s d’un même territoire vont prendre le temps de s’écouter, puis d’échanger et finalement de faire connaissance. La bibliothèque humaine, c’est aussi un moyen de comprendre les enjeux de notre société, à l’échelle locale et au-delà. C’est la Petite Histoire dans la Grande Histoire.
En 2020, le Covid a fauché en plein vol l’aventure de la Bibliothèque Humaine. Un podcast bricolé avec les moyens du bord a rencontré un public de plus de 500 auditeurs et auditrices, conquis par le généreux partage des livres humains. Mues par cet engouement, le Colombier des Arts et La Carotte ont eu envie de développer cet autre pan de la Bibliothèque humaine : diffuser les récits des livres humains par les ondes à travers et au-delà de nos territoires jurassiens. Chloé Truchon et Radio Campus Besançon ont été les nouveaux partenaires capables d’imaginer et de créer avec nous ce format podcast, nouvelle facette de cette belle aventure qu’est la Bibliothèque Humaine.
Puis, Chloé s’est attachée à ce projet et a eu envie de plus. Et si je créais un documentaire sonore qui montre un peu les coulisses de ce projet, la rencontre, le processus de création… ?
Et voilà. Après une première semaine de résidence chez nous en octobre dernier, Chloé revient pour continuer à étoffer ce projet, faire le tri dans les enregistrements, monter des choses, écrire une trame… puis faire écouter quelques bribes à quelques chanceux et chanceuses et en discuter avec elleux !
Formée au documentaire radio, je ne peux m’empêcher à la fin de la première journée de repérages de voir des liens entre ce qui est fabriqué dans cette formation et ce qui fait sens dans ma pratique de la radio : autoriser la parole de l’autre en posant un cadre spécifique, être à l’écoute, accueillir sa réalité pour ensuite la transmettre au reste du monde.
L’observation de ce premier jour où j’ai été conviée pour « comprendre » ce qu’était la Bibliothèque Humaine m’a donné envie de faire plus qu’enregistrer les histoires élaborées par chacun.e, commande qui m’avait été faite par Le Colombier des Arts et La Carotte. Je constate que la puissance du processus de Bibliothèque Humaine réside dans le cadre d’écoute et de parole qui est posé ici, et qui inclut le collectif. Il est si rare d’avoir accès aux personnes via ce qu’elles choisissent de raconter d’elles, en dehors des grilles de lecture stigmatisantes présentes lors des rencontres de la vie de tous les jours. Ici, pour un temps donné : on a la place pour dire ce qui nous porte et nous importe. On y va, on parle, on appartient, on écoute, on a accès, on comprend. Poursuivant la recherche de ce qui m’anime dans mon travail de la radio, je me suis mise à nourrir l’idée de raconter, via la création d’un documentaire sonore, la richesse de ce processus de prise de parole qui prend jour grâce au collectif. J’aimerais mettre en lumière comment il renverse les normes de la légitimité de la prise de parole, et comment, faisant circuler les témoignages et donc les connaissances, il permet d’accéder à une autre compréhension du monde que l’on partage, des systèmes sociaux dans lesquels on évolue, et de prendre position au niveau politique. Comment le collectif devient une gangue créatrice et permissive pour l’individu.
De janvier à mars 2022, j’ai enregistré les séances de travail de 12 livres humains en devenir. Récits d’anecdotes marquantes, échanges en groupe, discussions à la pause, premiers jets, retours, tours « météo » en début et en fin de journée… J’ai capté les différentes étapes de l’élaboration des récits, en me concentrant sur les expériences qui me paraissaient les plus intéressantes. J’ai également pris soin de réaliser quelques entretiens individuels dans lesquels les participant.e.s détaillent leur expérience personnelle de la bibliothèque humaine, leurs difficultés et les émotions traversées. Enfin, j’étais présente à une des deux soirées de restitution pour capter quelques retours de spectateur.ices et d’hôtes des livres humains.
La matière récoltée est donc majoritairement…. de la parole ! Comment mettre en scène cette parole par le biais du montage, pour que l’auditeur.ice capte les enjeux contenus dans le fait de se raconter, d’écouter les autres, la richesse humaine de ce processus ? Et quelle forme choisir pour dire ce collectif formé pour l’occasion, pour rendre visible le lien individu/groupe par lequel passe le travail ?
En partenariat avec La Carotte et Radio Campus Besançon 102.4FM